A l’ombre du Portique
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LA Psychologie DU PORTIQUE- Reception initiés - Février 1926

samedi 10 juillet 2010

Allocution prononcée par le Frère Orateur Gustave Louis Tautain le 26 février 1926 lors de la réception des nouveaux initiés, les Frères Marcel Barrière, Joseph Palivec, Louis Destombes et Pascal Baldassari.

Vous voici donc à nous et parmi nous. Et, puisque la confiance de ceux en la société desquels vous avez souhaité être introduits a voulu qu’il m’appartint aujourd’hui de vous dire quelle fierté joyeuse nous éprouvons à vous recevoir, souffrez que je m’acquitte de ma tâche qu’en peu de mots.

(…)

Sous le vocable du « PORTIQUE » vous entendez bien quels vœux de souriante discrétion et de stoïque scepticisme nous avons prononcés. Et s’il vous plût d’entrer dans la mystique chaine d’union que, sous l’imaginaire égide de Platon, d’Aristote et du curé de Meudon1, nous avons nouée, c’est qu’à des esprits aussi avertis que les vôtres, il est apparu que nos songes valaient d’être rêvés et nos idées d’être pensées. Que vous apporterons-nous ? Vous nous le direz bientôt. Mais nous voudrions seulement prêter à vos imaginations quelques rêves pathétiques. (…)

L’un des Maîtres de cet Atelier notre Frère Albert Lantoine, nous donna, voici quelques années des conseils qu’il groupa sous le titre de : « LA MORALE DU PORTIQUE » - Si mes moyens étaient à la mesure des siens, j’aurais tenté aujourd’hui de vous révéler l’idéologie porticienne. Mais venus à la maçonnerie, vous en fréquenterez certainement les diverses obédiences et les différentes loges. Vous discernerez donc vous-mêmes et rapidement, que nous faisons assez volontiers figures d’isolés. Puis vous ne tarderez point à distinguer ce qui nous rend si singuliers. Trop de mystique ou point assez, vous direz-vous peut-être, au retour de chacun des voyages que vous ferez hors de chez nous ? Et vous nous aimerez mieux de rester entre le physique et le métaphysique, et j’aurais dit par delà l’un et l’autre, si l’on pouvait accueillir, en pensant au plus sceptique de nos Ateliers maçonniques, ce vocabulaire furieux.
Les apparences, volontiers nous abusent. Et l’on tient que nous sommes, dans l’ordre de l’intelligence ou dans les zones indécises du sentiment, des destructeurs assez puérilement obstinés. Notre Oswald Wirth, lui-même, l’affirme. Ou de bien peu, s’en faut-il. Mais rien n’est moins exact. Et nous ne prétendons à rien qu’à la bonne volonté. Nous avons peu nié. Et que n’admettons-nous pas ? A la vérité, nous plaisons à dissocier maintes idées que les siècles ou peut-être l’intérêt, ou encore la fraude, avaient bloqués au même mortier. Certes, quelques-uns d’entre nous s’acharnent volontiers à rejeter le christianisme au musée de la Torture. Et si des excès de langage venaient, en votre présence, à être commis, ou quelques arguments lancés, dont la justesse vaudrait moins que l’insolence, pourquoi vous en offenseriez-vous, s’il est pertinent que la pensée doit obéir à certaines exigences sentimentales dont vous savez bien qu’elles n’auront nul soucis de vous blesser ? (…)

Au PORTIQUE, la distinction ne doit point être omise, si l’on veut entendre exactement la signification de nos ébats et de nos débats. Vous verrez alors que nous pensons très souvent contre quelqu’un ou contre quelque chose, non par besoin d’agressivité, mais par instinct de conservation. On ne peut refuser à l’être le désir de persévérer dans son être. Mais il y a, aussi et surtout, quand nul barbare ne nous menace, un Portique calme, attentif, prudent, serein. Le barbare, et qui s’obstine avec indiscrétion, c’est toujours l’homme d’action. Il écoute aux portes du rêve ou de la pensée. Et s’il s’indigne au nom du dogme, au nom de la déclaration des droits de l’homme, à moins que ce ne soit simplement au nom de la morale, les malentendus naissent alors, point toujours dissipés, hélas ! après nos interventions.

Pour restituer au PORTIQUE son authentique physionomie, il faut se tenir prêt à de constantes dissociations : le domaine de la pensée, le voici. Et voilà celui de l’action. Deux ordres, deux obédiences, deux servants. Ici, l’accent est mis sur le rêve. Et l’action est congédiée avec quelque méprisante hauteur. Nous prions qu’elle se maintienne en son rôle alimentaire et qu’elle ne prétende, ni à régir la pensée, ni moins encore à la contrefaire. Nous consentons à nous laisser séduire par la nature et toutes les variétés possibles du non-moi. Mais nous nous réservons le droit de n’être point dupes. Et nous marquons ainsi les limites de notre volontaire esclavage, ce qui est peut-être la seule liberté dont nous disposions. Nous n’irons pas plus loin. Et notre volonté de concilier tous les inconciliables, de penser l’impensable Dieu, de jeter sur les colonnes antinomiques du discordant Binaire l’ogive téméraire de l’affirmation ne sera que le fait d’esprits qui peuvent bien, un temps, dissocier, pour la commodité de leurs discours, la chair et l’esprit ou le cœur et l’esprit, ou le cœur et la chair, mais qui n’ignorent pas leur indestructible unité. Chair, cœur, esprit, composent un même nombre, chantant et mystérieux, flambant et dangereux. Il n’y a plus de cœur s’il n’y a plus de chair ou plus d’esprit. Et plus d’esprit où la chair défaille, où s’évanouit le sentiment. Mais l’homme d’action est là qui veille. Il proteste que la chair ment et clame qu’elle est vile. Il dit aussi de se méfier de la pensée qui, toujours, est redoutable. Car ses limites ne coïncidant pas avec celles de l’action, ne risque-t-elle point de précipiter la raison pratique à de hagardes aventures ? Nous n’y contredisons point. Et pas là, notre scepticisme dont il m’est revenu qu’on s’effrayait parfois, paraît inoffensif.

Différent du scepticisme profane, le scepticisme porticien n’a droit de cité que dans les régions dédiées à l’esprit pur. Sinon, pourquoi lui donnerions-nous l’entrée du Temple ? Ainsi s’explique très certainement que, tandis que le ricanement voltairien ou le sourire d’Anatole France ont si volontiers forcé les zones de l’action, ébranlé des institutions, incendiés des régimes, le doute porticien n’ait gardé de franchir les jardins versicolores de la pensée. Ce doute, pourtant est profond. Mais il est prudemment séquestré dans ses domaines enchantés. Lâché, il ne s’accommoderait point de nos techniques sociales, de nos politiques et de nos morales. Il ferait tout exploser. Nous le savons et que la vie doit, pour se continuer, avancer à la faveur de mirages utilitaires. Nous acceptons donc une attitude résignée. Nous nous interdisons l’action, mais ne la refusons à personne. Et si, d’aventure, il nous arrive de parler le langage de la morale ou de la politique, nous prononcerons des paroles d’autant plus mesurées que notre anarchisme intellectuel sera plus radical. Ayant perdu la foi sociale, nous ne nous soucions point d’en guérir nos contemporains. Ils mettraient le feu aux poudres et anéantiraient, par d’intempestives révolutions, nos loisirs de philosophes. Nous nous soumettons au fait sans être dupes du fait. C’est une attitude intellectuelle très maçonnique. Et que le profane ne comprend guère. Il nous veut d’un seul bloc quand nous prétendons être complexes. Nous réclamons seulement le droit de comprendre notre cœur, nos sens, notre pensée. Et nous étendons notre investigation à tous les temps et tous les espaces.

Le temps. Et donc notre temps. Eh bien ? Le temps mord peu sur nous puisqu’aussi bien nous le récusons volontiers. Nous sommes d’esprit très décidé ; mais de corps consentant et de sensibilité bien disposée. Nous sommes audacieux, mais humbles. Audacieux en ce sens que nous ne craignons ni de nous nier, ni de nous renier, et qu’il nous suffit, pour prendre à notre jeu un plaisir parfait, de conduire nos idées à leurs ultimes accomplissements. Humbles, car nous nous gardons de rien fausser du mécanisme de la vie universelle. Certes, notre pensée se plaît à jouer parmi de vertigineux balancements, en de périlleuses équipollences, sur des pointes de cynisme et aussi d’innocence. Et nous devons à ces exercices des heures merveilleuses où nous allâmes aux confins du monde intelligible pour revenir, après d’ironiques planés, au sol ferme de la physique. Mais nous prétendons n’abandonner jamais les triples rênes du physique, du sensible et de l’intelligible. Et nous savons que les sens ne sont que de l’esprit virtuel et le sentiment qu’une idée à l’état de vapeur. Aussi bien, l’idée nous semble-t-elle la soudaine cristallisation d’un désir de la chair ou d’un appétit sentimental. Inversement, nous voyons des idées se fossiliser jusqu’à devenir instincts et se dégrader jusqu’à devenir sentiments. De surprenantes alchimies s’organisent ainsi, dont nous sommes les spectateurs émerveillés.

A cet égard on peut dire qu’il y a une psychologie porticienne. Qu’on me pardonne de croire qu’il n’en est de plus ouverte sur la vie. L’idée qui n’est signe de rien, nul, en effet ne s’en défend autant que nous. Au fond, mes Frères, si vous voulez bien nous considérer avec sympathie, vous ne regretterez point de vous être joints à nous. Nous aimons la vie d’un amour point extasié, mais complaisant. Nous pensons librement et solitairement, mais notre pensée ne corrode nul régime qui, au surplus, ne saurait avoir avec elle de commune mesure. Nous professons la tolérance, forme pratique du scepticisme, et l’ironie, sa forme spirituelle. Nous nous méfions de tout, mais ne repoussons rien. Nous avons peur de la foi qui est une limite, mais nous nous donnons à l’amour qui n’en veut point connaitre. Nous sommes prudents et voudrions être sages. A nos initiés, nous conseillons l’économie de la pensée, l’amour de l’amour et la soumission à la physique jusque dans les plaisirs de la métaphysique.

Parfois, et c’est le cas aujourd’hui, il arrive que ces initiés soient de qualité. A toutes vos vertus, nous ajoutons alors celle de modestie. Car nous savons que l’initié dépasse toujours son initiateur. Et nous attendons, avec une espérance affectueuse, la coupe de cigüe que vous ne tarderez point à nous faire boire…