A l’ombre du Portique
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ALLOCUTION DU VENERABLE GOURDJI. Décembre 1947

Décembre 1947

jeudi 1er juillet 2010

Discours d’installation du nouveau V :. Gourdji

Une voix illustre nous le disait il y a 3 mois dans cette maison qui est la nôtre : le Présent n’est pas. Il n’est que le point de jonction du passé et de l’avenir. Un point fictif, abstrait, géométrique. Seuls comptent le Passé et l’Avenir.

Ce passé dont nous sommes issus. Que nous ne pouvons renier quoi qu’il arrive. Où nous plongeons des racines profondes. Qui nous nourrit de sa substance ; nous soutient, nous porte. Auquel nous rattache chaque fibre de notre corps, nos sentiments, notre intelligence, nos mobiles conscients et surtout subconscients.

Cet avenir lourd de nos espoirs et de notre fortune que la folle du logis meuble de nos rêves les plus insensés, que notre froide raison s’essaye à construire pierre à pierre. Cet avenir qui nous demeure inconnu, et qui n’appartient qu’à Dieu.

Qu’à Dieu ? A Dieu seul ?

Serait-ce à dire que l’homme soit sans emprise sur lui ? - Le Gr :. Architecte de l’U :. aurait donc tout prévu dans sa construction, et dans l’espace, et dans le temps ? – Le maç :. qui travaille à l’édification du Temple ne serait-il qu’un instrument ? Non ! Le maçon n’en croît rien. Le maçon tient au contraire pour assuré, que l’homme tient dans ses mains une part si faible soit-elle de son destin. Mais il sait aussi quels efforts incessants, quelle lutte continuelle conditionnent cette part de liberté qui est perpétuellement remise en question et toujours à conquérir.

Il est assez conscient pour connaître la petitesse de ses moyens. Assez modeste pour sentir que seul et sans le concours de ses frères il ne peut rien. Assez humble, pour ne pas tel Icare se perdre par orgueil et présomption.

Instruit de ses limites, il travaille sans relâche à maintenir, et si possible à élargir celles-ci. Car dans ce combat de tous les instants, il sait que ne pas progresser, c’est reculer.

Hélas il arrive que le mal l’emporte sur le bien et que d’un seul coup l’œuvre patiente et pleine de ferveur des meilleurs d’entre nous soit emportée par la bourrasque. Le Portique a été mis à rude épreuve par la tempête d’où nous ne sommes pas encore entièrement sortis.

Si l’homme, si le maçon, si le Porticien est tenu de progresser dans la recherche de la parole perdue, il est bon que de temps en temps, il s’arrête pour se retremper dans le passé, fasse le point, et tel Antée au contact de la Terre, ayant regagné des forces nouvelles, s’élance d’un cœur serein vers la conquête de l’avenir.

Si je revois le passé du Portique, si je revis ce qu’il fût, sinon depuis sa fondation, à tout le moins depuis que j’eus le bonheur d’y recevoir la lumière voilà un peu plus de 20 ans, j’y trouve des raisons certaines de me réjouir, comme aussi de m’attrister profondément. Pour vous dire ces raisons, je m’inspirerai de notre rituel. Je vais commencer par gémir et vous dire ensuite mon espérance.

Une Loge est avant tout une famille. Une famille unie dont tous les membres se connaissent et s’aiment. Comment ne serai-je pas affligé en voyant combien la nôtre est décimée, combien les pertes qu’elle a subies sont cruelles.

J’ai évoqué l’an 1927 où je fus initié ici-même. Aucun de ceux qui me reçurent alors, profane ou sous le bandeau, ne figure sur nos contrôles. Je ne saurais m’empêcher de penser avec force à chacun d’eux individuellement, en ce jour où vous m’avez fait mes frères, l’honneur redoutable de me confier la présidence de vos débats.
Le Vén :. en exercice, c’était Forest.

Mes trois enquêteurs avaient nom : Albert Lantoine, Francis Baumal, Emile Namer. Celui qui m’instruisit : Gallien. Aucun d’eux n’est là. Mais ils ne sont pas seuls à n’être pas présents ! Il ya pire, il y a mieux.

Et au tout premier rang, il y a d’abord nos victimes. Disparues, assassinées, mortes au champ d’honneur ou en service commandé.

Où est le bon, l’exquis, le fin, l’érudit Nathan Klugmann ? Le jeune et valeureux Paul Beraud, Paul Béraud qui sans doute aujourd’hui eut occupé ce plateau ? Le dynamique et efficient Emmanuel Arié. Dans quel charnier, dans quel crématoire du pays nazi.
Le jeune savant, mon très cher ami Freddy Passy, que nous eûmes la joie de recevoir en 40 et pas le temps matériel d’initier : Tué sous l’uniforme de lieutenant des chasseurs alpins, à Valchevrière dans le Vercors.

Enfin, Gustave-Louis Tautain que j’attendis vainement au rendez-vous qu’il m’avait fixé depuis la Corse, parce que les Parques en avaient ainsi décidé, et de qui notre frère Bartel-Noirot a dit aux obsèques que lui fit la République, ce que nous pensions tous.

Il y a ceux qui ne sont pas revenus dans notre grande famille écossaise pour des raisons que je ne peux me permettre d’apprécier et encore moins de juger : les Jean Cassou, les Fuchs, les Dumezil et tels autres moins brillants mais qui tous étaient également chers à nos cœurs de frères.

Il y a ceux qui continuent à dévouer leurs forces à l’Ecossisme, l’illustrant, qui ont été naguère ou sont Grand maître de la G :. L :. D :. F :. , Michel Dumesnil de Gramont, Jacques Maréchal. Il y a mon vieil ami Isarlov.

Tous ceux-là, étaient membres de notre famille porticienne. Plusieurs en furent vénérables. Ils en étaient la chair. Nous en recherchions le contact de leur chaleur humaine autant que les lumières de leur intelligence. Et nous voilà subitement privés d’eux ; du son de leur voix, des traits familiers de leur visage, à nos réunions du 4ème vendredi. Privés du régal de leurs interventions toujours brillantes dans nos discussions, d’une quelconque « psychologie ». privés du régal qu’était, faite par exemple par un Tautain, la critique de la dernière œuvre parue d’un Lantoine, d’un Cassou, d’un Dumesnil et Klugmann, d’un Namer, d’un Baumal. Car chaque mois ou presque, était édité l’œuvre d’un porticien.

Quels feux d’artifices étaient souvent les célébrations d’anniversaires marquants ! celui du tricentenaire de Dom Pérignon par notre frère Dumesnil de Gramont n’était-il pas plus pétillant de verve que le plus sophistiqué des champagnes ?

Mes F F :. , revivre ces souvenirs en ce morose mois de Novembre, c’est sombrer dans la nostalgie, rouvrir des plaies toujours béantes et dont je ne crois pas qu’elles se cicatriseront jamais. Mais le maçon qui prétend être parvenu à quelque maîtrise, ne démissionne et ne désespère jamais. Nous avons heureusement des raisons de nous réjouir. La vie, cette fois encore a été plus forte que la mort. Ceux qui m’ont précédé à ce plateau depuis la Libération, nos très chers frères Hervé et Drouet, ce dernier le seul je crois avec notre frère Pachot à être un des membres fondateurs du Portique, solide au poste, ont œuvré efficacement avec l’affectueux concours de vous tous pour que le portique ne périsse pas. Sous leur maillet, votre fidélité a permis ce miracle que nous soyons là, réunis ce soir, déjà assez nombreux et riches de promesses, malgré les coups du sort et malgré nos erreurs, unis pour travailler à rendre à notre loge bien-aimée tout le lustre qu’elle eut naguère, pour en faire à nouveau un des beaux fleurons d’une Grande Loge de France prospère. J’ai la plus grande confiance qu’un jour nous y parviendrons...

Ensemble nous veillerons à ce que d’amères leçons ne soient pas perdues. Ensemble nous veillerons à ce que chaque jour davantage plus d’affection familiale et intime, plus de fraternité nous relient les uns aux autres. Peut-être pour longtemps serons nous moins brillants, peut-être manierons-nous avec moins d’assurance, moins de désinvolture charmante et aristocratique, paradoxe et scepticisme si chers au Portique. Peut-être serons-nous moins semblables à ce champagne de haute lignée jouissant d’un prestige inégalé mais plus pareils à un honnête cru de France. Que si d’aucuns venaient à nous dire : votre modestie rappelle la fable des raisins trop verts, nous répondrions : sans doute. Mais n’est-ce pas mieux ainsi. Et en toutes circonstances ne convient-il pas de donner le pas au cœur, fût-ce même s’il en était besoin sur l’intellectualité. Oh ! bien sûr il ne s’agit pas de verser comme l’écrivait crûment Julien Banda dans ce sentimentalisme démocratique des vieilles guitares de 1848, de la tombola des petits déshérités, du penchement sur les vieux, du grand cœur des Herriot et autres larmoiements. Il s’agit simplement de donner à l’expression : mon très cher frère, toute sa force, et de voir dans l’homme notre frère. Il s’agit de respecter et de vénérer dans nos traditions, avec fidélité, tout ce qui est respectable, mais non pas pour autant, devenus des fossiles, vivre dans le passé au lieu de tourner nos regards vers l’avenir. Il s’agit de ne rien oublier mais de ne pas manquer d’imagination. Il s’agit d’accomplir du mieux que nous pouvons notre destin d’homme, et pour cela d’essayer de surmonter notre peur, cette peur qui tient les plus courageux des hommes aux entrailles alors même qu’ils s’en doutent le moins.
Car je crois mes Frères, suivant en cela un courant de pensée qui va s’intensifiant, que le principal obstacle à surmonter par l’homme pour atteindre au bonheur, c’est la peur.

Aussi votre collège d’officiers vous propose-t-il pour l’année qui vient le plan de travail suivant :
Nous commencerons dès notre prochaine tenue l’étude de la psychologie de la peur.
Nous allons définir la peur, l’analyser, la disséquer d’un scalpel aigu en ses éléments constitutifs.

Montrer comme elle s’est longtemps confondue avec l’instinct même de conservation, parce que salutaire à l’homme, indispensable dirai-je pour lui permettre d’échapper aux mille périls qui l’assaillaient, et ainsi de survivre.

Comment, par la suite, l’homme ayant domestiqué matière et énergie, cette peur qui n’est plus pour une large part aujourd’hui qu’un catastrophique réflexe biologique hérité du passé nous rends méfiants alors qu’un peu de crédit à notre prochain nous conduirait a un sort meilleur et prouver ainsi comment par un fatal retour des choses, c’est cette peur qui nous permit jusqu’a aujourd’hui de vivre, qui veut nous condamner dorénavant à mourir.

Nous enchaînerons ensuite, en passant à. la psychologie du silence. Anatole France disait de Jules Lemaître qu’il avait les raffinements d’un esprit ingénieux et la bonne volonté d’un cœur simple et confiant. Qu’en un mot, il avait beaucoup exercé la faculté de comprendre.

Le maçon s’étant recueilli dans le silence et la méditation, ayant exercé avec simplicité cette faculté de comprendre, ayant appris à être généreux alors qu’il est désabusé aura appris à surmonter sa peur au moins dans de faibles limites. Et par le chemin de la fraternité il aura gagné des points pour le bonheur.

Alors, naturellement viendra pour lui le moment de surmonter non p1us cette fois sa peur, mais le silence, l’heure de 1’action par 1e verbe et davantage encore, par l’exemple, l’heure du rayonnement moral aura sonné. Nous étudierons la psychologie du rayonnement moral. En face de l’effondrement des structures et des valeurs sociales, en face de l’inquiétude qui règne et gouverne, en face du gouffre menaçant qui se creuse chaque jour davantage entre les magnifiques progrès de la science moderne et la stagnation qui équivaut à un recul des valeurs spirituelles, la maçonnerie à un rôle extraordinaire à jouer, une partie formidable à gagner.

Mes Frères, dans cette partie engagée par notre Ordre, le Portique, hélas devenu modeste, a sa petite place à tenir. Je me complais à rêver avec orgueil qu’il ne faillira pas à cette tâche.

D’abord grâce à la sagesse des maçons chevronnés, qui n’ont plus à faire leurs preuves, qui demeurent et nous guident, et qui sauront toujours encadrer les jeunes. Grâce ensuite aux maçons de valeur qui dirigeront demain vos travaux, grâce à vous tous mes Frères, grâce à nos apprentis qui bient6t seront des maîtres, grâce enfin à nos Frères-visiteurs, pour la p1upart des fidèles et que je souhaite toujours nombreux et assidus, et auxquels nous ouvrons toutes larges nos portes comme nous leur ouvrons notre cœur fraternel.

Pour terminer, mes frères, j’ai quelques prières à vous adresser : celle de m’accorder beaucoup d’indulgence, car j’en ai grand besoin. Celle aussi de me permettre de vous souhaiter à tous, une bonne santé physique, la paix du cœur, la prospérité.